Portrait d’avenir : Matthias Boyé, jeune agriculteur à la croisée des chemins de labour
Par Matilde GOT
À seulement 17 ans, Matthias incarne une nouvelle génération d’agriculteurs déterminés, conscients des défis et désireux de faire évoluer leur métier. Originaire de Libourne, près de Bordeaux, il a grandi dans une famille enracinée dans la terre, avec un père viticulteur et un grand-père paysan. Pour l’Effervescent, il revient sur sa vocation précoce.

Matthias est un jeune homme aux cheveux bruns et au look soigné, qui incarne cette jeunesse moderne et affirmée de l’agriculture. Étudiant en terminale au lycée privé agricole Étienne Gautier, à Ressins (Loire), il suit la formation bac pro CGEA (Conduite et gestion d’une exploitation agricole). Cette filière prépare à la gestion complète d’une exploitation agricole en associant des matières générales, comme l’histoire-géographie ou les mathématiques, à des matières techniques telles que la zootechnie, la gestion du troupeau ou encore l’agronomie.
Le lycée, qui compte 500 élèves, est organisé autour d’une exploitation qui offre aux élèves la possibilité de se confronter aux activités d’une exploitation agricole. « On élève des bovins, des caprins, des porcins, on transforme la viande sur place et on la vend dans un magasin sur le campus. Toutes les semaines, il y a des élèves de garde, que ce soit au nouvel an ou à Noël. Certains étudiants se lèvent à pas d’heure pour aller traire les vaches ou les truies », explique le lycéen avec une assurance surprenante pour son âge.
Son lycée n’est pas un simple établissement scolaire : c’est un véritable écosystème autonome. Une partie de la production alimentaire du lycée est consommée à la cantine. Les denrées produites sont aussi redistribuées à d’autres cantines, principales clientes de l’établissement, ainsi qu’à des commerçants et des magasins privés.
La question de la diversification
Étudiant depuis maintenant trois ans, Matthias a déjà des idées précises pour son avenir. Le jeune homme veut en effet faire un BTS pour se spécialiser dans l’élevage de bovins allaitants, une forme d’élevage destinée à la production de viande. Les vaches nourrissent leurs veaux au lait maternel jusqu’à leur sevrage, sans production de lait destiné à la consommation humaine. Ce type d’élevage est généralement pratiqué avec des races comme la Charolaise ou la Limousine.
Mais, même s’il est passionné par cette forme de production, Matthias est convaincu que les exploitations agricoles d’aujourd’hui ne peuvent plus dépendre d’un seul type d’activité, en raison des risques financiers et économiques encouru par l’exploitant qui choisira de mettre tous ses œufs dans le même panier.
Malgré son jeune âge, on sent chez lui une vision claire de l’agriculture de demain : « Travailler avec du vivant, c’est ma passion. Mais il y a beaucoup de difficultés dans l’élevage. Ce qu’on nous dit aujourd’hui, c’est qu’il faut être diversifié, il faut voir ailleurs et ne pas être borné. Si on reste sur une production, on ne dépend que de cette production et si pour X ou Y raisons il n’y a plus rien, eh bien ça coule », explique-t-il.
Les défis de demain
En agriculture comme dans tous métiers, le futur exploitant n’oublie pas de souligner l’importance de la motivation. Étudier dans ce lycée agricole lui a montré la réalité du métier dès le plus jeune âge et il comprend que cette exigence pousse certains à abandonner après leur formation : « J’ai envie de te dire, ça démotive tout le monde. Il y a plein de jeunes qui, après le BTS, laissent tomber. Ils s’en vont autre part, en étant agriculteur technicien, par exemple… C’est quand même un rythme de travail soutenu. On travaille avec du vivant donc c’est tous les jours, tous les jours », ajoute-t-il en prenant une posture assurée. Ses yeux brillent d’une détermination tranquille même lorsqu’il aborde les défis qui se profilent à l’horizon.
Le jeune étudiant évoque notamment l’importance des formations agricoles supérieures, comme le BTS, qui permettent d’accéder à des aides pour l’installation ou à des garanties en cas de reconversion : « En bac, on nous oriente vers un BTS parce que les [pourvoyeurs d’] aides regardent ton niveau d’étude. Si on fait un BTS, c’est mieux valorisé, et puis c’est aussi une garantie si jamais je dois arrêter l’agriculture. » Toutefois, certains de ses camarades se retrouvent dans des situations compliquées, où ils doivent renoncer à poursuivre leurs études car leurs parents ont besoin de leur aide sur l’exploitation familiale. Ce choix peut malheureusement limiter les aides auxquelles ils pourraient prétendre plus tard pour s’installer à leur compte.
Entre tradition et modernité
Matthias incarne une nouvelle génération d’agriculteur confronté à de nouveaux défis, comme celui du changement climatique. C’est la raison pour laquelle il se montre attentif aux conseils des générations précédentes, tout en se posant des questions sur les pratiques à privilégier pour l’avenir.
« Il faut toujours avoir le conseil des anciens parce que ce sont eux les plus expérimentés. Mais ils ont des techniques qui consistent à bousiller les sols, commente le jeune homme. Ils nous disent qu’il ne faut pas avoir peur de mettre du Roundup à bloc, mais après, on se rend compte que le sol est pourri, plus de biodiversité, des rendements de merde ». Roundup est le nom commercial d’un herbicide produit par la compagnie américaine Monsanto et commercialisé depuis 1975. Cet herbicide non sélectif, avait pour substance active le glyphosate, une substance aux effets délétères pour la santé.
Le futur agriculteur émet également des doutes quant à la gestion politique du secteur. Selon lui, le poste de ministre de l’agriculture devrait être occupé par quelqu’un de terrain, un agriculteur, pour mieux comprendre les enjeux réels de la profession : « Marc Fesneau, par exemple, il a fait quoi pour l’agriculture ? On n’entendait pas parler de lui alors qu’il y a eu la crise, qu’on a manifesté », dénonce-t-il fermement, évoquant le ministre en charge de l’agriculture de mai 2022 à septembre 2024.
« Et puis, il y a plein de problèmes au niveau européen, comme en ce moment avec le Mercosur. En fait on dirait qu’ils ferment les yeux sur l’alimentation des Français », poursuit Matthias, faisant référence au Marché commun du Sud, abrégé en Mercosur, une zone de libre-échange qui regroupe plusieurs pays de l’Amérique du Sud et avec laquelle l’Union européenne souhaite ratifier un traité sur l’intensification des échanges de biens et de services.
Pour Matthias, cet accord soulève la question de la concurrence déloyale. Récemment, une publicité pour des gigots d’agneau de Nouvelle-Zélande a fortement attiré son attention, avec des prix affichés entre huit et dix euros le kilo. Si cela semble abordable, Matthias rappelle que ses tarifs bas sont d’abord la conséquence d’un moins disant sanitaire et environnemental. Pour lui, acheter Néo-Zélandais n’est clairement pas la solution si les Français souhaitent réellement soutenir leur agriculture locale.
Le jeune apprenti se demande comment rivaliser avec une telle concurrence, tandis que, dans le même temps, les agriculteurs français se sentent constamment sous surveillance et contrôlés de partout : « Nous, en France, on nous enquiquine de partout, il y a des satellites de la PAC qui passent au-dessus des exploitations pour surveiller si on n’a pas oublié de déclarer un ou deux animaux, ou si la haie qui est là n’a pas été déplacée ici, ou si tu ne l’as pas détruite », explique-t-il désespérément. La politique agricole commune (PAC) est un système de régulation et de subventions mis en place par l’Union européenne pour augmenter les rendements agricoles tout en maintenant les revenus des exploitants.
Un regard tourné vers le consommateur
Au-delà des enjeux agricoles, Mathias estime que le consommateur a un rôle clé à jouer. « Il faudrait rééduquer les gens sur la valeur des produits, commente-t-il. Si on veut préserver nos fermes, il faut accepter de payer un peu plus, en sachant d’où viennent les produits. » Mais cette prise de conscience, Mathias la sait difficile, notamment pour les personnes dans une situation économique précaire.
Malgré tout, le futur agriculteur reste optimiste. Il croit en une agriculture plus durable, moins dépendante des aides, et mieux connectée aux attentes sociétales. « Je ne veux pas dépendre des aides, assure-t-il. Mais il faut se préparer, se diversifier, et bien choisir ses partenaires si on veut s’associer. Moi, j’y réfléchis déjà. »
Mathilde Got