Épisode 3 – Quand Jordan Bardella est perçu comme le défenseur des femmes
Par Margaux LAMY
Après avoir longtemps hésité à soutenir le parti d’extrême droite, les femmes votent désormais à égalité avec leurs homologues masculins pour le Rassemblement national, y compris en Auvergne. Séduites par ses promesses sur la sécurité et l’immigration, les électrices du RN voient en ce parti un moyen de répondre à leurs préoccupations quotidiennes.
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« C’était mon premier vote et je suis fière qu’il soit pour ce parti », revendique en souriant Flavie, 19 ans. Pour les élections européennes, l’étudiante clermontoise a donné sa voix au Rassemblement national, à l’instar de 30% des électrices françaises, contre seulement 20% cinq ans plus tôt, selon une enquête de l’institut Ipsos réalisée le 9 juin 2024. Et, dans le cas de la jeune femme, il ne s’agit pas d’un choix par défaut : « J’approuve leurs idées. Ils sauveront l’économie et aideront les agriculteurs », assène-t-elle.
Le parti de Jordan Bardella a beau s’être abstenu, en mai 2023, lors du vote de la directive européenne sur la transparence et l’égalité des rémunérations, qui vise à appliquer l’égalité de salaires entre femmes et hommes pour un travail identique ou de même valeur, Flavie n’en démord pas : « Même pour nous, les femmes, ce parti fait plein de choses. » « Certaines sont étonnées quand je leur dis ça, mais il veut vraiment notre bien, poursuit l’étudiante, tout enremettant ses cheveux derrière ses oreilles. Le RN soutient les femmes. Par exemple, il souhaite lutter contre les inégalités salariales. »
En réalité, si Flavie a voté pour ce parti, c’est surtout « pour une question de sécurité », finit-elle par admettre,avant de faire un lien entre celle-ci et l’immigration.La jeune femme dit ne pas se sentir à l’aise lorsqu’elle sort dans les rues de Clermont-Ferrand. « Il y a toujours quelqu’un pour m’aborder ou m’embêter. C’est normal ça ? », interroge-t-elle les yeux brillants.
Le même discours se retrouve dans la bouche de Madeleine*, une retraitée vichyssoise elle aussi partisane du RN. « À Vichy, il y a beaucoup de noirs dans les rues. Ce n’était pas comme ça il y a quelques années », lance d’abord la Bourbonnaise sans filtre, évoquant la méfiance qui est la sienne désormais à chaque fois qu’elle sort. Caressant son chien, elle convient toutefois qu’elle ne s’est « jamais fait embêter par l’un d’eux ». « Enfin, pas pour l’instant, renchérit-elle. Mais je fais attention, je ne me balade pas en toute tranquillité et pas à n’importe quelle heure. »
« On n’a pas envie de perdre nos filles et nos sœurs »
Cécile G. habite dans le Puy-de-Dôme et est mère de deux filles. Aux élections législatives, la quinquagénaire a voté pour le RN principalement en raison des positions du parti sur l’immigration. « Dans la rue, j’ai peur et, en tant que maman, j’ai peur pour mes enfants. Des étrangers arrivent dans notre pays et on ne sait pas les gérer, déclare fermement cette mère de famille. On n’a pas envie de perdre nos filles et nos sœurs. Ou encore qu’il leur arrive des misères à cause d’eux. »
Le fantasme du prédateur sexuel étranger est pourtant battu en brèche par les statistiques. Dans le rapport 2023 du service statistique du ministère de l’Intérieur (SSMSI), cité par Libération, on lit que 13 % des 55 174 mis en cause pour des crimes ou des délits de violences sexuelles en 2022 étaient de nationalité étrangère, alors que la part d’étrangers dans la population hexagonale est de 8 %.
Cette relative surreprésentation de la population étrangère s’explique par plusieurs facteurs comme la forte représentation de jeunes hommes dans la population immigrée, le fait que les immigrés sont en moyenne plus pauvres que les natifs, ou encore le traitement différencié que subit cette population de la part des appareils policier et judiciaire.
De fait, dans près de la moitié des cas (49 %) de violences sexuelles, les femmes victimes connaissent l’agresseur personnellement (39 %) ou de vue (10 %). Dans 22 % des situations, il s’agit du conjoint ou de l’ex-conjoint. Dans 21 % des situations, il s’agit d’un ami, collègue, camarade d’école ou voisin.
Le RN et les médias d’extrême droite démentent ces données et affirment que l’immigration est la première cause du harcèlement de rue et des viols dont sont victimes les femmes. Des chaînes d’information, comme CNEWS ou BFMTV jouent un rôle clé dans la diffusion de ces stéréotypes.
Cécile G. avoue : « Toutes ces histoires qu’on entend à la télévision, des fous avec des tournevis, les personnes dangereuses sous OQTF, le meurtre de Lina Delsarte [une adolescente disparue en septembre 2023, puis retrouvée morte, une affaire dont le principal suspect n’était pas étranger, ndlr], ce n’est pas que sur nos écrans malheureusement ». Elle croise les bras et poursuit : « Forcément, tu ne te sens pas en sécurité ; tu regardes derrière toi quand tu marches dans la rue. Je suis soucieuse. »
Les droits des femmes : un sujet épineux
Alors, les électrices auvergnates du RN sont-elles prêtes à mettre sous leur boisseau la revendication de leurs droits de femmes moyennant la garantie supposée de leur sécurité ? Le parti d’extrême droite a montré des réticences sur des sujets comme l’IVG ou l’éducation sexuelle. Le 4 mars dernier, si Marine Le Pen a apporté son soutien à l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse dans la constitution, 11 des 77 députés et sénateurs RN ont voté contre et 20 autres se sont abstenus.
Pour Flavie, il est peu probable que les femmes perdent leurs droits dans une France gérée par son parti de cœur. « Je pense que ça n’arrivera jamais. Je sais que c’est possible, mais c’est peu probable », conteste-t-elle en haussant les sourcils. « Pour l’IVG, le RN ne peut rien faire puisque c’est inscrit dans la Constitution. On ne peut pas toucher à ce texte, sinon ils l’auraient fait depuis longtemps », certifie cette dernière. Par ailleurs, elle affirme qu’une modification de la Constitution nécessiterait « beaucoup trop de démarches ».
« c’est soit notre sécurité, soit nos droits. » Cécile G. , mère de famille
D’autres électrices, comme Cécile G., sont plus circonspectes. « Le débat sur l’IVG et les idées qu’ils ont sur les femmes, pour moi, c’est vrai que ce sont les points noirs du RN. Les droits des femmes régressent, surtout s’ils parviennent au pouvoir », affirme la mère de famille, avant de conclure : « C’est soit notre sécurité, soit nos droits. On ne sait plus que choisir ou qui croire. »
Un choix jugé « contre-productif »
Face à ce désarroi, certaines associations féministes s’efforcent d’éclairer les électrices sur les enjeux réels cachés derrière les discours politiques du RN. Présidente de l’association Femmes solidaires, un mouvement féministe, laïque et d’éducation populaire basé à Clermont-Ferrand, Danielle Malochet comprend l’incertitude des électrices. « Je pense qu’elles sont perdues. Il y a un “ras-le-bol” de la vie de tous les jours ; la vie est chère, la femme est maltraitée », analyse la retraitée.
« Elles sont déprimées. C’est dû aux mauvaises nouvelles annoncées dans les médias, poursuit-elle. Mais voter pour le RN ne résoudra rien, c’est contre-productif. » La militante féministe constate également qu’il y a « une forme d’individualisme et une peur de l’autre qui s’est installée dans la société ». « Le problème s’est aggravé avec le confinement. On a appris à se méfier de l’autre, poursuit-elle. On s’éloigne des personnes avec une certaine couleur de peau ou avec un voile. »
Cette aînée tient aussi à alerter les électrices sur leur choix : « Le RN met en danger tous les droits des femmes. Tout peut être remis en question : la prostitution, les violences, le mariage forcé et le dernier en liste, l’IVG. »
* Prénom modifié à la demande de l’intéressée.
Margaux Lamy