Épisode 6 – À Moulins, quand le malaise social redessine le paysage politique

Par Maxence BIANCHI

Deuxième volet de notre déambulation à la recherche de la parole des Bourbonnais, L’Effervescent s’est rendu à Moulins, préfecture du département, où les habitants expriment désillusions, colère et inquiétude. Les points de vue se confrontent, dessinant le portrait d’une société en quête de réponses.

Le marché de Moulins un jour de pluie. Les passants tous couverts, choisissent leurs produits. Au premier plan, une femme qui marche sourit sur la photo.
À Moulins, les avis des habitants divergent, entre les partisans à l’extrême droite et ceux qui la combattent. Crédit : Maxence Bianchi.

Longtemps considéré comme un bastion de la gauche, l’Allier a connu une lente érosion des partis historiques au profit d’une extrême droite en pleine ascension. Les élections européennes de 2024 ont été un premier signal fort, avec un Rassemblement national (RN) recueillant 36,7 % des suffrages dans le département. Quelques mois plus tard, les législatives ont confirmé cette tendance, une des trois circonscriptions de l’Allier, Montluçon, retombant dans l’escarcelle du RN après une première conquête en 2022.

À Moulins, une des villes phares du département, cette dynamique a pris racine dans une campagne axée sur la proximité avec les préoccupations locales : sécurité, défense des services publics et pouvoir d’achat. Mais cette progression ne s’explique pas uniquement par des slogans bien rodés. Elle reflète également une fracture sociale et territoriale exacerbée.

L’Allier, département rural marqué par un déclin industriel et une démographie stagnante, incarne les difficultés d’une France périphérique. Le malaise est palpable : fermetures d’usines, désertification médicale et sentiment d’abandon alimentent la montée des mécontentements. « Ici, les gens se sentent oubliés, alors ils votent pour ceux qui promettent de changer les choses », résume Marie, 68 ans, habitante de Moulins depuis toujours.

Une fracture sociale de plus en plus visible

L’un des facteurs-clés de la montée de l’extrême droite dans l’Allier est la recomposition sociale et économique de son territoire. Si les centres urbains comme Moulins ou Vichy restent relativement dynamiques, les zones périurbaines et rurales connaissent des difficultés croissantes.

À Moulins, le centre-ville historique, avec ses commerces et sa population plus aisée, résiste encore au raz-de-marée RN. La circonscription a d’ailleurs réélu son député communiste Yannick Monnet. Mais dans les quartiers périphériques, le constat est tout autre. À Bellevue, un quartier excentré de Moulins, la fermeture récente d’un supermarché a laissé un vide symbolique et pratique pour les habitants.

José, 64 ans, ancien ouvrier dans l’agroalimentaire, témoigne : « Ici, tout part à vau-l’eau. Avant, on avait une usine et des petits commerces. Maintenant, il n’y a plus rien. Quand on parle de ruralité, ce n’est pas juste des champs, c’est aussi les gens qui y vivent. »

Pour José, le vote RN est devenu un moyen d’exprimer sa colère. « Ça fait 20 ans que je vote, et rien ne change. Les politiciens traditionnels, ils passent leur temps à parler à la télé, mais ils ne viennent jamais ici. »

Une jeunesse divisée

La progression de l’extrême droite dans l’Allier s’appuie également sur une jeunesse en quête de repères. Si les électeurs les plus âgés constituent le cœur de l’électorat RN, les jeunes adultes sont de plus en plus nombreux à franchir le pas, souvent par désillusion vis-à-vis des partis traditionnels.

Paul 19 ans, apprenti mécanicien, revendique son vote pour le RN sans complexe. « Je ne suis pas un raciste, comme certains disent. Je vote pour eux parce qu’ils parlent de ce qui compte : le boulot, les frontières, et puis la sécurité. »

Pour lui, l’étiquette d’extrême droite est devenue secondaire. « Ce qui est important, c’est de protéger nos droits et notre pays. Les autres partis, ils passent leur temps à nous diviser, à nous faire des leçons de morale. »

Cette vision n’est pas partagée par tous. Émilie, 24 ans, employée dans un magasin, exprime un rejet clair de cette évolution. « Je comprends que les gens soient en colère, mais ce n’est pas une excuse pour voter pour un parti qui joue sur la peur et la haine. »

Des partisans pragmatiques… mais critiques

Certains électeurs du RN ne se considèrent pas comme des militants convaincus, mais comme des pragmatiques désabusés. Julie, 27 ans, technicienne de laboratoire, est de ceux-là. « Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’ils disent, mais je pense qu’il faut essayer autre chose. Les autres partis nous ont tellement déçus. »

Julie insiste sur le fait que son choix est avant tout économique. « J’ai voté RN parce qu’ils parlent des vrais problèmes : les salaires qui stagnent, les prix qui augmentent. Quand tu habites ici et que tu ne gagnes pas beaucoup, tu veux juste des solutions. » Cependant, cette approche critique reste teintée d’incertitude. « On verra bien s’ils tiennent leurs promesses. Si ce n’est pas le cas, je ne voterai plus pour eux. »

Une montée qui inquiète

Dans cette région historiquement attachée à des valeurs proches de celles de la gauche, l’ascension de l’extrême droite ne fait pas l’unanimité. Marie, ancienne institutrice, se dit bouleversée par cette évolution. « J’ai vu des combats pour plus de justice sociale et contre les discriminations. Aujourd’hui, tout cela semble remis en question. » Elle pointe du doigt la banalisation du discours du RN. « Les gens se disent que ce n’est plus un parti extrémiste, mais leurs idées restent les mêmes : diviser, exclure, rejeter. »

Nathan, étudiant en sociologie, voit dans cette montée un reflet des tensions sociales actuelles. « C’est le symptôme d’un mal-être, mais ce n’est pas une solution. On a besoin de réinventer la politique, pas de revenir à des visions rétrogrades. »

Une société en quête de réponses ?

À Moulins, les débats autour de la montée de l’extrême droite révèlent une société fragmentée, mais surtout en quête de solutions concrètes. Si certains électeurs du RN y voient un moyen de redonner espoir à leur territoire, d’autres craignent un avenir marqué par la division et le rejet.

Pour José, l’important est de se faire entendre. « Tant qu’ils nous écoutent et qu’ils font quelque chose pour nous, ça ira. Mais s’ils nous trahissent comme les autres, alors ce sera terminé. » Marie, elle, appelle à une prise de conscience collective. « Il faut arrêter de voter par colère et recommencer à penser à ce qui nous unit, pas à ce qui nous divise. »

Maxence Bianchi