Épisode 5 – Némésis, vraiment féministe ?
Par Emma HERIECH
En surface, le collectif Némésis, présent en Auvergne, a tout d’une association féministe classique. Il vient en aide aux femmes victimes de violence, il prône le fait que chaque femme dispose de son corps comme elle le souhaite, il milite pour leurs droits et leur sécurité… Pourtant, une chose diffère. Pour les féministes classiques, les hommes peuvent représenter un danger. Mais pour Némésis, le vrai danger, ce sont les immigrés.
Il crée la controverse, prend de plus en plus de place dans l’espace médiatique et porte le nom d’une déesse grecque : le collectif féministe d’extrême droite Némésis monte en flèche. L’association a été fondée en 2019 par un groupe de jeunes femmes pour lesquelles l’immigration est source de tous les problèmes des Françaises. Fermement opposées aux courants féministes classiques, jugés trop influencés par des idéologies progressistes ou d’extrême gauche, leur discours revendique une défense des femmes ancrée dans des valeurs occidentales, traditionnelles et identitaire. Némésis, déesse de la justice et de la vengeance, incarne leur volonté de dénoncer les injustices qu’elles estiment négligées par d’autres mouvements féministes.

Entre féminisme et politique
Leurs intentions, en termes de liberté des femmes, sont plutôt louables. Némésis veut que les femmes puissent faire ce qu’elles veulent de leur corps, excluant cependant la procréation médicalement assistée (PMA), décrite comme la location d’un utérus. Le collectif souhaite que les femmes n’aient pas honte de prendre la parole en public et qu’elles se sentent en sécurité dans la rue. L’association soutient les femmes victimes d’agression et les écoute. « On en a des centaines qui nous écrivent, on n’arrive pas à répondre à tout le monde », explique Anaïs, l’une des porte-parole de Némésis. Mais sous cette représentation moderne de la femme se cachent des idéologies plutôt archaïques et xénophobes.
Selon le collectif, tous les malheurs des femmes françaises sont causés par des immigrés. Pour y remédier, les mesures requises sont drastiques : stopper l’immigration massive, ne plus donner la nationalité française automatiquement, supprimer le droit du sol et expulser les délinquants étrangers ou ayant la double nationalité. Ce discours est très ressemblant à celui des partis d’extrême droite, qui connaissent un essor croissant depuis plusieurs années.
Pourtant, le collectif Némésis ne se dit affilié a aucun parti politique. « C’est sûr qu’on se retrouve plus dans les valeurs de la droite que de la gauche, confie tout de même Anaïs. Mais il y a des militantes de gauche comme de droite chez nous ». Cette pluralité politique exprimée est en réalité peu en phase avec la réalité du fonctionnement de l’association puisque la haine du « gauchisme et du wokisme » est dominante au sein de son idéologie.
« Les fameux trois ‘’i’’ »
Au-delà d’une vision moderne de la femme en ce qui concerne ses droits, des valeurs que l’on prête aux politiques conservatrices dominent. L’élégance, la valeur de l’effort, le refus de l’assistanat, la détermination à réussir, c’est ça l’archétype de la femme moderne chez Némésis. Il faut une femme qui aime son pays, sa culture, qui embrasse sa féminité et l’esthétisme classique d’une dame. Au sein du collectif Némésis, les traditions occidentales règnent. À bas le port du voile et la charia, la culture orientale est considérée comme une soumission de la femme. « Les fameux trois ‘’i’’ : immigration, insécurité et islamisation. Ils ont un impact négatif sur les femmes françaises », explique Anaïs. La religion et l’origine de ceux qui agressent les femmes en France sont au cœur du débat chez Némésis, et fait toute la différence avec des féministes « classiques ». « Les néo féministes cachent volontairement l’origine et la religion des agresseurs en accusant le patriarcat à la place, affirme Anaïs. On n’oublie pas les hommes blancs mais la plupart des agresseurs sont des étrangers. » Cependant, aucune source scientifique n’est citée, ni pour appuyer les propos des militantes, ni dans les graphiques affichés sur le site internet du collectif. Alors, info ou intox ?
Statistiques et études ne manquent pas en revanche qui démontrent, comme dans celles présentées par Libération concernant les violences sexuelles, que la surreprésentation des étrangers parmi les mis en cause n’est que très relative et qu’elle peut s’expliquer par plusieurs facteurs comme la plus forte proportion de jeunes hommes dans la population immigrée, le fait que les immigrés sont en moyenne plus pauvres que les natifs, ou encore l’attitude de la police et de la justice à l’égard de cette population.
Une popularité en hausse
Pour faire entendre ses convictions, Némésis est sur tous les fronts. Le collectif compte aujourd’hui près de 170 adhérentes, le militantisme étant réservé aux femmes, réparties dans la France entière et notamment en Auvergne. Des sections sont situées à Lyon et Clermont-Ferrand, mais elles n’ont pas donné suite aux demandes d’entretien. Pour accroître sa popularité, Némésis ne craint pas de se montrer sur les réseaux sociaux, les plateaux télé ou en manifestation. « On a eu beaucoup de visibilité grâce aux médias et aux chaînes comme TPMP et CNEWS, qui nous mettent en avant », souligne Anaïs. Sur les réseaux sociaux, le collectif poste des vidéos ou encore des micros-trottoirs. Il apparaît souvent sur les comptes du média d’extrême droite « Frontières ».
Sur le terrain, les militantes de Némésis sont très actives. Hommages, conférences et manifestations, Némésis s’est constitué une communauté grandissante. « On milite à 97 % à visage couvert, explique Anaïs, ça évite les représailles. » Parmi les évènements les plus médiatisés du collectif, la montée des marches de Cannes est un acte phare. « On a monté les marches avec des robes sur lesquelles était inscrit ‘’violeurs étrangers dehors’’, se remémore la militante. Encore plus récemment, lors de la manifestation Nous Toutes à Paris, Némésis a créé un vrai cortège duquel on pouvait entendre « gauchistes complices », ou encore « expulsion des violeurs étrangers ».

Némésis vu par une féministe « classique »
Avec ses discours identitaires, Némésis attise la colère des associations féministes dites classiques. « Ici au planning familial, on lutte contre l’extrême droite et ses valeurs », affirme Élisabeth Péricard Devauchelle, militante au planning familial du groupe local d’Ambert (Puy-de-Dôme) depuis 2011. « Némésis banalise les discours d’extrême droite, l’anti wokisme… tout ce qu’on combat. Le collectif n’est pas en alerte sur la régression ou la non-avancée des droits des femmes que l’extrême droite implique », analyse-t-elle. Pour cette militante, Némésis et le féminisme sont antinomiques : « Les régimes d’extrême droite n’ont jamais fait progresser les droits des femmes. »
Élisabeth Péricard Devauchelle décrit une représentation stéréotypée de l’agresseur. « Il n’y a qu’à voir avec le procès Pélicot, les accusés sont monsieur tout le monde ; des notables, des bons pères de famille, décrit-elle. On n’a pas attendu l’immigration pour la culture du viol et l’impunité de l’abus du corps des femmes ». Pour cette militante de longue date, la xénophobie du collectif Némésis découle d’idées reçues et d’un racisme intégré, contre lesquels il faut se battre : « Quand j’étais plus jeune, j’ai eu des mains aux fesses comme toutes les jeunes filles, mais c’était en basse campagne et par des hommes blancs, rien à voir avec l’immigration. »
Si Némésis accuse l’Islam de soumettre les femmes, Élisabeth Péricard Devauchelle dément complètement cette idée : « En France, ce n’est pas pareil que dans les pays où règne la charia. Ici les femmes ont le choix ou non de porter le voile, c’est une décision personnelle qu’il faut respecter. » Elle poursuit en citant le voile comme un attribut culturel : « Avant, les femmes mettaient un fichu sur la tête pour aller à la messe, c’était culturel ». Finalement, la fervente militante conclut : « Accuser les immigrés, c’est foncer dans la facilité, trouver un bouc émissaire. »
Emma Heriech