Dans l’économie vichyssoise, l’habit ne fait pas la pastille

Par Robin LECOMTE

À l’approche de son bicentenaire, la pastille vichy est partout dans la ville éponyme. Pourtant, l’impact de cette confiserie culte sur le territoire vichyssois est difficile à mesurer. Qu’apporte réellement le bonbon octogonal à l’économie de Vichy ?

Quand on dit « Vichy », on pense régime, eau, carottes ou encore motif à carreaux… Mais l’association la plus fréquente reste la pastille. Avec son légendaire goût mentholé allié à la texture des sels minéraux des eaux thermales de la ville, cette confiserie s’est construite une véritable réputation nationale. Depuis presque 200 ans maintenant, la pastille s’est érigée en fierté vichyssoise. Au point d’être mise en avant, à chaque occasion, par la mairie de la ville et son maire Frédéric Aguilera. Mais l’industrie de la pastille Vichy a-t-elle autant d’influence sur son territoire que le laisse supposer sa notoriété ?

Des pastilles produites à la chaîne tombent dans des bacs.
L’emblématique pastille est toujours produite sur ses terres, autour de Vichy. Le 12/12/24, à Hauterive. Crédit : Robin Lecomte

Fabriqué depuis 1925, le petit bonbon blanc est aujourd’hui partagé entre deux pôles de production aux objectifs bien distincts. L’acteur principal de ce marché est la société Carambar and Co qui possède, entre autres, Malabar, Poulain ou Krema. Propriétaire de l’usine basée au quartier des Ailes de Vichy, qui compte 15 employés, la marque française produit la majeure partie des pastilles distribuées à l’échelle nationale. Pourtant, Carambar and Co ne possède pas un seul litre d’eau de Vichy, alors que cette eau contient les sels minéraux indispensables à la confection des pastilles. Ces sels sont fournis par un organisme nommé La Compagnie de Vichy grâce à un contrat d’exploitation signé entre les deux parties.

Peu connue du grand public, La Compagnie de Vichy est le gestionnaire des eaux thermales de Vichy. L’accès à ces eaux lui est conféré par la ville, propriétaire du domaine thermal depuis 2021, année de son rachat auprès de l’Etat. Cette concession de la ville à la compagnie, est, elle aussi, établie par un contrat qui donne lieu au versement d’une redevance non négligeable pour la mairie. « Cette redevance représente deux millions d’euros à peu près par an. En revanche, les deux millions proviennent, en partie, de l’activité de la compagnie, de contrats d’utilisation de marques, et caetera. L’activité de la pastille est noyée dans cette masse générale », explique Olivier Cavagna, directeur général adjoint de la ville de Vichy.

Un lien avec le territoire qui passe par l’artisanat

De l’autre côté de l’Allier, à Hauterive, se trouve le deuxième bastion de la pastille Vichy, ou plutôt de la pastille du bassin de Vichy. Produite par la maison Moinet depuis 1852, cette autre version de la pastille a une appellation particulière du fait de sa commune de production. Bien que l’entreprise soit artisanale et familiale, elle a les allures d’un vrai groupe industriel. « On a deux entreprises différentes. Une pour les usines, sachant qu’on a deux usines et une source. L’autre entreprise pour les magasins, on a trois boutiques à Vichy, une à Paris et une à Clermont », expose Lucas Michaille, responsable de la production chez Moinet. Au total, une trentaine de personnes travaillent pour les fabricants de la pastille du Bassin de Vichy.

Lucas Michaille nous montre le poinçon qui sert à donner à la pastille sa forme finale.
Malgré une industrialisation grandissante, la forme de la pastille reste et restera octogonale. Le 12/12/24, à Hauterive. Crédit : Robin Lecomte

Chacune à leur manière, les deux entreprises entretiennent un lien fort avec la ville de Vichy. Un aspect essentiel pour cette dernière, qui fait tout pour mettre en avant sa confiserie phare. « Il y a eu tout un travail de marketing territorial qui a été voulu par le maire de Vichy, pour faire en sorte que la ville travaille davantage son image », affirme Olivier Cavagna. Bien que la marque Pastille de Vichy appartienne à la ville, le modèle actuel du secteur ne permet pas à cette dernière de capitaliser dessus, selon le fonctionnaire municipal, qui complète : « Vichy est un nom mondialement connu grâce aux cosmétiques de L’Oréal, à la pastille, à l’eau thermale et aux carreaux de Vichy. Mais finalement toute cette image, elle nous échappe un peu puisque ce sont des industriels qui s’en servent. »

Un rayonnement local en guise de poudre aux yeux

Le point de vue n’est pas partagé du côté de Moinet. L’entreprise familiale estime rendre service à la ville, en faisant rayonner son nom partout en France. « C’est important d’avoir des personnes qui fabriquent des pastilles et qui sont dynamiques, qui montrent que Vichy est attractive. […] En cela, je pense qu’on participe un peu à la renommée de la ville », développe Lucas Michaille. Un lien d’image très peu exploité en revanche par Carambar. Pour protéger et consolider cet ancrage local, la mairie réfléchit à introduire une « origine géographique de fabrication ». Une évolution logique qui permettrait de consolider un secteur dont l’implantation géographique repose en grande partie sur les sels minéraux présents dans les eaux thermales vichyssoises. « S’il n’y avait pas cet actif spécifique qui est l’eau de source, on pourrait se dire que pour produire des pastilles, il y a des territoires qui sont beaucoup plus adaptés », soutient Arnaud Florentin, économiste spécialisé dans les territoires locaux. Selon lui l’impact de la pastille sur Vichy se fait principalement dans sa capacité à façonner l’image de la ville et à la faire connaître.

Mais qu’est-ce qui se cache derrière cette image ? Eh bien, pas grand-chose. Sur les 29 000 emplois recensés à Vichy, le secteur de la confiserie en représente entre 80 et 90. Un tout petit chiffre qui paraît encore plus ridicule quand on sait que le secteur de la confiserie regroupe 1 400 emplois dans l’Allier. Malgré tout, le secteur brasse de l’argent. En moyenne, la production de pastilles rapporte autour de 20 millions d’euros par an, hors marges. Un chiffre imposant à l’échelle de Vichy et qui a des retombées économiques qui vont au-delà de la redevance. Achats, taxes, salaires versés et dépensés, tout cela favorise l’activité locale. La seule présence des entreprises de production de pastilles influence aussi le territoire à travers des externalités positives. « Il y a des diffusions de connaissances, des diffusions technologiques, de savoir-faire, des effets de cluster, des réductions de coûts et des effets d’agglomération », liste Arnaud Florentin.

L’industrialisation pour augmenter la spécialisation

Malgré tout, le constat reste valide : Vichy n’est pas un territoire spécialisé dans la confiserie. « L’influence des acteurs de la pastille sur le territoire (vichyssois) est inférieure à ce qu’on peut trouver sur d’autres, analyse Arnaud Florentin. L’intégration de ces secteurs dans l’économie locale est moins évidente que d’autres secteurs de la confiserie ailleurs en France. » Pour le comprendre, il faut se pencher sur le coefficient de spécialisation. Cet indicateur permet de regarder le poids de l’emploi dans une branche par rapport au total des emplois locaux et de comparer ce ratio avec celui prévalant à l’échelle nationale. Or, ce coefficient est de 0,77 pour la production de confiseries à Vichy. Les 89 emplois du secteur le placent en deçà du seuil de 1, ce qui signifie que le territoire n’est officiellement pas spécialisé dans la confiserie. Cet indicateur théorique vient donc contredire la communication de la ville.

Pour remédier à ce phénomène et accroître leur pénétration dans les habitudes de consommation des Français, les deux entreprises misent sur un développement de leur industrialisation et de leur implantation dans les grandes surfaces. « L’industrialisation permet de passer d’une logique artisanale à un accès à des marchés, à des économies d’échelle et à la survie d’un produit, d’un patrimoine », explique Arnaud Florentin. Carambar est installé depuis un moment sur le marché des grandes surfaces et leurs paquets de pastilles sont aujourd’hui la référence à l’échelle nationale.

Chez Moinet, le schéma d’action est tout autre. Leurs produits les plus populaires, vendus dans leurs boutiques, sont également présents dans l’ensemble des grandes surfaces dans un rayon de 200 kilomètres autour de Vichy. Parallèlement, l’entreprise artisanale travaille avec des enseignes comme Leclerc, Carrefour, ou Cora pour la distribution de ses pastilles dans toute la France, mais sous la « marque du distributeur » (MDD), avec un emballage propre à chaque enseigne.

Un rouleau d'emballage de pastilles tourne, pour mettre en sachet les pastilles Vichy.
Sur l’emballage des pastilles Moinet, on retrouve le motif Vichy, témoignage d’un lien fort avec la ville. Le 12/12/24, à Hauterive. Crédit : Robin Lecomte

Si les MDD permettent à Moinet de produire et de vendre plus, elles n’occasionnent pas de grosses marges -les MDD sont vendues en moyenne 20 à 30 % moins cher que les marques nationales comme Carambar- et n’ancrent pas vraiment l’entreprise vichyssoise dans les références des consommateurs. « Notre nom est marqué derrière en petit, c’est obligé. Il y a quand même le nom quelque part qui apparaît, mais ce n’est pas l’argument de vente », concède Lucas Michaille. À l’approche du bicentenaire de la pastille Vichy, les différents acteurs sont confiants pour leur avenir et espèrent voir leur bonbon favori perdurer encore de nombreuses années dans la ville thermale.

Robin Lecomte