Épisode 1 – Allier : ces trois villes qui font barrage à l’extrême droite

Par Laura BERTHUIN

En Auvergne comme dans le reste de la France et dans de nombreux pays d’Europe depuis les années 2010, les partis de la droite radicale sont de plus en plus populaires. La vague est puissante mais pourtant, elle ne submerge pas tout. Au sein des trois plus grosses villes de l’Allier, le Rassemblement national progresse, mais peine à passer en tête.

Divisé. C’est le mot qu’on peut utiliser pour qualifier le paysage politique de l’Allier. Ce département rural composé de trois bassins de villes moyennes est divisé politiquement. Historiquement, l’Allier est un bastion du communisme rural où la gauche persiste, malgré un déclin ces dernières années. Plus de la moitié des communes du Bocage bourbonnais sont et restent communistes. Depuis une quinzaine d’années, le PCF est la troisième force politique du département. Mais d’un autre côté, la droite a toujours été présente. Après la Libération, Vichy et Moulins sont passées à droite. De plus, l’Allier n’a pas envoyé d’élu de gauche au Sénat depuis les années 1970. Cette complexité des rapports de force politiques dans le département est ce qui lui permet de résister, mieux que d’autres, à la montée de l’extrême droite. Trois figures de la vie politique et syndicale du département reviennent sur cette lutte contre l’extrême droite.

Moulins : une forte conscience politique  

Dimanche 7 juillet, 20 h. Les résultats des élections législatives anticipées tombent. Dans la 1ère circonscription du département de l’Allier, Yannick Monnet (Nouveau front populaire, PCF) est élu. Il comptabilise 50,51 % des suffrages. Au niveau de la ville de Moulins, Yannick Monnet remporte la majorité des voix avec 57,91 % des suffrages exprimés (4 019 voix). Le Rassemblement national (RN) occupe la seconde place avec 42,09 % des votes, soit 2921 voix. Un seul constat : la gauche est toujours en position de force.

Malgré une progression importante de l’extrême droite, la gauche se bat et résiste. Cela s’explique en partie par la forte conscience politique de ses habitants. Yannick Monnet, député de la 1ère circonscription de l’Allier, développe : « L’Allier est encore une terre beaucoup marquée par la résistance, par la lutte contre le fascisme, la lutte contre le nazisme, et aussi par le régime de Pétain. Tout ça, l’extrême droite, aujourd’hui, en est l’héritière. Donc, je pense qu’il y a aussi une certaine conscience politique sur les anciennes générations de cette nécessité absolue de faire barrage à l’extrême droite. »

Yannick Monnet, député de la 1ère circonscription de l’Allier, pose pour un portrait sur les bancs de l’Assemblée nationale.
Yannick Monnet (Union des gauches), député de la 1ère circonscription de l’Allier. Crédit : D. R.

Cette dynamique, combinée à l’efficacité du front républicain aux dernières législatives, a contribué à tenir le RN en échec. « On a pu observer une forte mobilisation des deux camps avec un barrage opéré sur la circonscription et un front républicain très opérant », explique Yannick Monnet. S’il est arrivé derrière le RN au premier tour, le soutien apporté par les candidats des autres partis lui a permis de passer devant au second. Jean-Marie Guillaumin (parti écologique Le Trèfle) a ainsi appelé à voter pour lui, mais aussi de Stéphane Larzat (Renaissance), souhaitant « faire barrage au RN ».

Vichy : entre dynamisme et proximité

La troisième circonscription de l’Allier est elle aussi dotée de plusieurs atouts dans la lutte contre la montée de l’extrême droite. L’existence d’une véritable dynamique de territoire, portée par la ville de Vichy en est un, qui vient contrebalancer les sentiments d’abandon et de déclassement des communes rurales, terreau assez fertile à l’extrême droite, les habitants utilisant le vote RN pour alerter et exprimer leur colère. Nicolas Ray, député Les Républicains de cette troisième circonscription, l’explique : « Sur beaucoup de communes autour de Vichy, on retrouve une dynamique. On a une vraie politique positive, avec le thermalisme, avec l’économie du sport, le tourisme, l’attractivité, quelques belles entreprises aussi. Donc on a une vraie attractivité, avec notamment le classement UNESCO de Vichy ». Nicolas Ray est arrivé en tête aux élections législatives du 7 juillet, devant Remy Queney (RN). Il comptabilisait 65,44 % des suffrages exprimés contre 34,56 % pour son adversaire. La droite républicaine domine l’extrême droite à Vichy. D’ailleurs, les nombreuses municipalités ayant intégré la communauté de communes de Vichy au cours des cinq dernières années ont toutes placé Nicolas Ray en tête. La proximité et le dynamisme de l’agglomération vichyssoise font en partie du vote RN un vote de second choix.

Un portrait de Nicolas Ray, député de la troisième circonscription de l’Allier. On voit son buste devant un fond bleu.
Nicolas Ray (Les Républicains), député de la 3e circonscription de l’Allier. Crédit : D. R.

Si le RN n’arrive pas à passer devant, c’est aussi en raison de ses candidats, souvent parachutés de Paris. C’est le cas de l’adversaire de Nicolas Ray, Rémy Queney, lors du dernier scrutin. Or, le parachutage de candidats cultive le sentiment de déclassement des habitants. Il semble par ailleurs difficile de convaincre un électorat sans connaître les communes dans lesquelles on atterrit, sans être à l’aise sur le territoire. Difficile d’en représenter les habitants. « J’ai gagné il y a deux ans par ma proximité, parce que je suis un élu local depuis dix ans, par mes qualités d’écoute, de disponibilité. Donc moi, c’est comme ça que je vais continuer à faire reculer le RN », explique fièrement Nicolas Ray. Son ancrage local lui permet d’être soutenu par 90 % des maires de sa circonscription.

Montluçon : terre de résistance  

Montluçon semble au bord de la rupture. L’extrême droite progresse. Dans la seconde circonscription du département de l’Allier, cette fois, c’est le Rassemblement national qui a été élu aux dernières législatives dès 2022, puis reconduit cet été avec 43,27 % des suffrages exprimés. Pourtant, les résultats au niveau de la ville de Montluçon sont serrés entre le Rassemblement national et le Nouveau front populaire : 37,59 % pour les premiers contre 33,62 % des voix pour les seconds. Cette progression, c’est le résultat d’un sentiment de déclassement des communes rurales, de la désindustrialisation de l’ancien bastion ouvrier de Montluçon additionné à une dédiabolisation du RN par les médias. Malgré tout, le parti ne parvient pas à s’imposer complètement, en témoigne la présence d’un maire de droite, Frédéric Laporte (LR). La raison : un esprit de résistance fort de la part des habitants. « La ville de Montluçon est un bassin d’emplois propice à la bataille syndicale et politique », témoigne Laurent Indrusiak, secrétaire départemental CGT de l’Allier. La présence du syndicat permet, en partie, de stopper l’avancée du RN en l’empêchant de passer devant la droite républicaine. « Nous, la CGT de l’Allier, on est frontalement opposés au RN. On porte des valeurs très claires, on porte l’intérêt général pour tous les travailleuses et les travailleurs sans différenciation de leur origine ethnique. De fait, on se bat pour l’égalité de traitement pour tous. »

Laurent Indrusiak, avec un gilet orange réfléchissant, fait face à des forces de l’ordre.
Laurent Indrusiak, secrétaire départemental de la CGT de l’Allier, est profondément engagé dans la lutte contre l’extrême droite. Il mène de nombreuses manifestations, notamment à Clermont-Ferrand. Crédit : D. R.

Cette bataille est menée à coup d’affiches dans les communes et de formation dans les entreprises. « On a commencé avant même les élections. L’idée, c’est d’armer les gens pour bien comprendre l’historique, ce qu’est l’extrême droite, le RN en France, son danger et comment on peut le combattre.On a collé des milliers et des milliers d’affiches pour montrer que le RN c’est de l’enfumage », explique Laurent Indrusiak. Dans le même esprit, des cartes postales ont été déposées directement dans les boîtes aux lettres des habitants de l’Allier. L’objectif : sensibiliser les quelque 132 000 foyers du département en utilisant des initiatives originales.

Mais cet esprit de résistance n’est pas le seul atout de Montluçon pour stabiliser la progression du RN. La présence de la droite républicaine sur le territoire joue également en sa défaveur. Sociologiquement, la population du bassin Montluçonnais est vieillissante. De nature conservatrice, elle a donc plus tendance à voter à droite. À cela, il faut rajouter que RN est quelque chose de récent pour elle. C’est un parti que les habitants ne comprennent pas forcément alors que la droite, ils connaissent. C’est le choix de la sécurité. « On a un certain électorat qui a plutôt préféré voter pour cette droite dite républicaine que voter pour l’extrême-droite. Il y a quelque chose de rassurant dans ce choix », rappelle le syndiqué. Cette sécurité apaise face aux nombreux dérapages du parti de Jordan Bardella, en témoigne le récent procès auquel il a dû faire face.

Laura Berthuin