Épisode 6 – Marx Dormoy, un résistant avant l’heure

Par Enzo AMIRAULT

En 1940, l’Allier est surtout connu pour avoir hébergé le régime criminel de Vichy. C’est pourtant aussi le lieu où un résistant avant l’heure a combattu les idées de l’extrême droite, au prix de sa vie. Il s’appelait Marx Dormoy.

Monument à la mémoire de Marx Dormoy (Vichy).
À Montluçon, un monument rend hommage à l’ancien maire de la ville, Marx Dormoy. Crédit : D. R.

« L’Assemblée nationale donne tous pouvoirs au Gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l’État français. Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie. » Ce texte de loi est voté par 569 membres de l’Assemblée nationale, le 10 juillet 1940, à l’Opéra de Vichy. C’est la fin de la IIIe République et le début du régime de l’État français, aussi appelé régime de Vichy. Pourtant, au milieu de la résignation générale, ils sont 80 parlementaires à s’opposer à l’octroi du pouvoir à Philippe Pétain. Marx Dormoy fait partie de ceux qui ont dit « non » au Régime de Vichy.

Plaque en mémoire des 80 parlementaires qui ont refusé de donner les pleines pouvoirs à Philippe Pétain.
Cette plaque présente sur l’Opéra de Vichy rend hommage aux 80 parlementaires qui ont refusé de donner les pleins pouvoirs à Philippe Pétain, le 10 juillet 1940. Crédit : D. R.

Maire de Montluçon, l’une des trois principales villes de l’Allier, membre de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO), l’ancêtre du Parti socialiste, Marx Dormoy est l’un des représentants de la gauche. Proche de l’ancien Premier ministre Léon Blum, il est ministre de l’Intérieur de 1936 à 1938 sous le gouvernement du Front populaire. Arrêté à plusieurs reprises dès le début du régime de Pétain, assassiné en 1941, Marx Dormoy n’a pas eu le temps de gagner des titres de gloire dans la résistance. De par l’opiniâtreté de son opposition au régime collaborationniste, il en est pourtant devenu l’un des symboles.

Arrêté par le régime de Vichy dès 1940

« Marx Dormoy est très clairement un opposant au nouveau régime. Et le régime le sait, les rapports préfectoraux de l’époque désignent Dormoy comme l’adversaire principal dans la région », évoque l’historien et président du Centre International d’Études et de Recherche de Vichy (CIERV), Michel Promérat. Après le vote du 10 juillet 1940, Marx Dormoy reste maire de Montluçon, mais dès le mois de septembre, il est démis de ses fonctions par le gouvernement de Vichy. Le gouvernement de Pétain craint en effet de voir se développer autour de l’édile une opposition au régime.

L’élu est enfermé le 25 septembre au centre d’internement de Pellevoisin, dans l’Indre, sur ordre de Vichy. « Le gouvernement s’autorise à dire telle personne doit être  » internée », ce qui est un abus de droit considérable », affirme M. Promérat. Il n’est pas le seul à être arrêté sans raison. Dix jours plus tôt, Léon Blum a été interpellé. Idem pour Édouard Daladier, Paul Reynaud, Édouard Herriot et tant d’autres. « Tous les hommes importants de la Troisième République qui sont suspectés d’être des catalyseurs d’opposition sont dans la même situation que Dormoy. Ils sont en permanence sous la surveillance des autorités de Vichy », explique Michel Promérat. Marx Dormoy, toujours contraint par le régime de France, est transféré en décembre 1940 à Vals-les-Bains, en Ardèche. Puis, le 27 mars 1941, il est placé en résidence surveillée dans un hôtel à Montélimar (Drôme).

L’assassinat de Marx Dormoy

Le 21 juillet, une bombe placée sous le lit de Marx Dormoy explose au moment où celui-ci pénètre dans sa chambre d’hôtel. Il meurt immédiatement. Après avoir été incarcéré plus de onze mois par le régime de Vichy, l’ancien maire de Montluçon se fait assassiner lâchement. Mais qui est responsable du meurtre de Marx Dormoy ? Encore aujourd’hui, impossible de savoir qui a commandité cet assassinat. Est-ce que ce sont des membres du gouvernement de Pétain, est-ce que le régime de Vichy savait ce qu’il se préparait ? La vérité n’est pas encore connue sur ceux qui ont décidé de l’éliminer.

Pour autant, les personnes qui ont déposé la bombe sont facilement identifiables. « Le gouvernement fait faire une enquête, on va trouver des gens qui ont participé à un autre attentat à Nice, on retrouve les mêmes traces qui étaient présentes à Nice à Montélimar », précise l’historien Michel Promérat. Toutes ces personnes faisaient partie d’une organisation terroriste d’extrême droite du nom de La Cagoule et que Marx Dormoy avait lui-même dissoute en 1938. Quelle peine de prison pour les auteurs de ce meurtre ? « Ces gens vont être arrêtés et emprisonnés, et bizarrement, ils sont libérés en 1943, sur une demande allemande », explique l’historien.

Marx Dormoy, un résistant malgré tout ?

« Dormoy n’a pas eu le temps, il n’a pas participé à un mouvement de résistance, il n’a pas participé à un réseau de renseignement, il n’a pas participé à des mouvements de sauvetage de personnes menacées, il ne l’a pas pu tout simplement ! Il l’aurait peut-être fait, mais il ne l’a pas pu », indique Michel Promérat. Incarcéré dès septembre 1940 et surveillé jusqu’à sa mort en juillet 1941, il n’a pas pu entrer dans la résistance française.

Après, « tout dépend de la définition que l’on donne à la résistance », poursuit le chercheur. Si la résistance se définit par une action concrète, collective, armée contre l’occupant et contre le régime de Vichy, alors Marx Dormoy est mort trop tôt pour y participer. À l’inverse, si le terme de résistant est associé à une opposition intellectuelle, « il est évident que Dormoy est un opposant catégorique au Régime de Vichy »,précise Michel Promérat. Son opposition contre les idées d’extrême droite débute dès les années 1930.

Une résistance d’avant-garde face à l’extrême droite

Ministre de l’Intérieur de 1936 à 1938, Marx Dormoy n’a pas hésité à s’attaquer aux ligues d’extrême droite qui pullulent alors. « Il mène une action extrêmement vigoureuse contre l’extrême droite, il se heurte en particulier à des groupes clandestins dont l’un que l’on appelle La Cagoule, qui est un mouvement d’extrême droite qui prépare des attentats à la fin des années 30 », explique Michel Promérat. En 1937, Marx Dormoy parvient justement à démanteler La Cagoule. Quatre ans plus tard, des mêmes membres de ce groupuscule, qui ne lui a jamais pardonné son combat contre les idées de l’extrême droite, lui ôteront la vie.

Après-guerre, la sœur de Marx Dormoy, Jeanne, fera tout son possible pour que la mémoire de son frère ne soit pas oubliée. En 1947, il reçoit ainsi la médaille de la résistance. L’État français reconnait Marx Dormoy comme résistant avant la résistance[1]. Lors de ses funérailles à Montluçon, le 9 décembre 1945, Léon Blum préside la cérémonie. Les Montluçonnais rendent un dernier hommage à leur ancien maire, résistant avant l’heure. Comme le souligne l’historien Michel Promérat, « Tout son parcours antérieur, tous ses engagements, toute sa culture politique, le prédisposaient à devenir un résistant d’ampleur ».

Enzo Amirault


[1] Gayle K. Brunelle, Annette Finley-Croswhite, L’assassinat de Marx Dormoy. Enquête sur la « Cagoule », Nouveau Monde Eds, 2024.