Épisode 4 – À Vichy, la très gênante association de défense de la mémoire de Pétain persiste

Par Raphaël FAURIE-PACAUD

Depuis plusieurs années, la ville de Vichy tente de faire oublier son passé peu glorieux, hanté par l’État Français du maréchal Pétain, qui sévit de 1940 à 1944. Mais une association célèbre toujours le militaire, révisant l’histoire à sa manière. Enquête sur une organisation au combat singulier, mais sur le déclin.

Jacques Boncompain, président de l'ADMP depuis 2023, pose devant sa bibliothèque personnelle.
Jacques Boncompain est le président de l’ADMP depuis 2023. Crédit : D. R.

« Pétain était un des plus grands sauveurs de Juifs en France. Plus on avance, plus mon admiration est importante. » Dès le début de l’entretien, le ton est donné. Pas question pour Jacques Boncompain, le président de l’association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain (ADMP), de mettre de l’eau dans son vin, de s’incliner face au verdict implacable de la communauté des historiens sur le caractère criminel et antisémite du régime dirigé par le maréchal depuis Vichy de 1940 à 1944, responsable de la déportation vers la mort de dizaines de milliers de Juifs. Philippe Pétain est comparable « à Saint-Louis, Louis XIV et Napoléon », insiste l’écrivain de 83 ans.

L’ADMP constitue une sacrée épine dans le pied pour la mairie de Vichy, à l’heure où celle-ci s’efforce de réhabiliter son image, ternie par un régime qui, dans les livres d’histoire, porte désormais son nom, alors que la ville n’est pour rien dans l’installation du gouvernement collaborationniste dans ses palaces. « On a 2000 ans d’histoire, pas quatre », avait martelé le maire, Frédéric Aguilera (Les Républicains), lors de la commémoration des 80 ans du vote de l’Assemblée pour l’octroi des pleins pouvoirs à Pétain, en 2020.

L’existence de l’ADMP est d’autant plus embarrassante qu’elle dispose de représentants à Vichy et, surtout, qu’elle est propriétaire de l’appartement occupé par le Maréchal Pétain à l’Hôtel du Parc pendant ses années vichyssoises.

Créée en 1951 – « dans un salon parisien de l’ambassade de Hollande », précise Boncompain -, l’association a toujours eu la même ligne de conduite : « Réhabiliter l’honneur de Pétain et que son souhait d’être enterré aux côtés de ses soldats à Douaumont [à côté de Verdun, ndlr] soit exaucé », indique son président. Le militaire doit l’immense prestige qui l’a conduit à la tête de l’État à son rôle dans la défense héroïque de Verdun, pendant la Première guerre mondiale.

L’accomplissement de cette mission passe par le rachat d’une partie du patrimoine du maréchal Pétain, comme son appartement vichyssois ou encore sa ferme natale, située à Cauchy-à-la-Tour, dans le Pas-de-Calais. Elle passe aussi par des coups d’éclat, comme la tentative manquée de vol du cercueil du militaire déchu, le 19 février 1973, par un commando de six hommes sur l’île d’Yeu (Vendée). Elle passe encore par des publications et des conférences, qui lui valent une condamnation, validée en 1993 par la Cour de cassation, pour « apologie de crime de guerre ».

« Un groupuscule minuscule »

Depuis sa création, plusieurs grands noms pétainistes se sont succédé à la tête de l’association, qui publie encore un magazine quadrimestriel. Parmi eux figurent Jean Lemaire, avocat de Pétain, Jean Borotra, Gabriel Auphan, Georges Lamirand et François Lehideux, tous les quatre ministres sous le gouvernement de Vichy. Mais un nom ressort, celui d’Hubert Massol, chef du commando de 1973, puis président de 2009 à 2020. « Je respecte le président Massol, cependant je condamne son acte », assure Jacques Boncompain, avant d’ajouter : « Mais je peux comprendre le ras-le-bol. »

Si aujourd’hui, l’association a perdu bon nombre de ses partisans, notamment en 2020 après une crise interne, elle continue de mener des actions de moindre échelle. Elle a ainsi fait donner une messe, le 16 novembre dernier, en hommage au Maréchal Pétain et à l’armistice de la guerre de 1914-18, ou encore lancé un appel aux dons pour la restauration de l’oratoire Saint-Benoît Labre « qui avait été construit par le grand-père du Maréchal », précise son président.

Un hôtel, l'hôtel du parc, avec au 3e étage, l'appartement où vivait Pétain.
Au 3e étage de l’hôtel du Parc, l’appartement où Pétain a vécu entre 1940 et 1944, possédé par l’ADMP aujourd’hui. Crédit : Raphaël Faurie-Pacaud.

Toutefois, à Vichy, l’ADMP n’est plus ce qu’elle était. Son représentant local, Louis De Condé, qui avait participé, en 1962, à l’attentat du Petit Clamart contre le général de Gaulle, alors président de la République, et s’engagera ultérieurement dans le Front national, n’est plus aussi impliqué que dans le passé.

« Aujourd’hui à Vichy, l’ADMP est un groupuscule minuscule, estime Michel Promérat, historien et président du centre international d’études et de recherche de Vichy (CIERV). Elle n’a plus que très peu de poids si ce n’est plus du tout. La seule véritable action est le recueillement sur la tombe du maréchal Pétain sur l’Ile d’Yeu. L’ADMP, c’est un vestige avec des membres qui vivent dans la nostalgie. »

« Il nous faudrait un nouveau Pétain »

Cette nostalgie est omniprésente chez Jacques Boncompain. On la retrouve dans ses livres – il en a publié trois dans lesquelles il défend la politique menée par Pétain à la tête de l’État Français contre d’«insoutenables » accusations d’antisémitisme -, mais aussi dans des vidéos YouTube disponibles sur la chaîne de l’ADMP.

Devenu président de l’ADMP en 2023, le natif de Valence assure que son association est « apolitique » et refuse toute comparaison ou association avec des groupuscules ou des partis d’extrême droite. « Beaucoup des anciens présidents de l’ADMP étaient des sympathisants du Front national [devenu le Rassemblement national, ndlr] de Jean-Marie Le Pen et lui sont toujours fidèles »,certifie cependant Michel Promérat.

Persuadé qu’« il manque un leader aujourd’hui au sein de la politique française », ou, pour dire les choses plus clairement, qu’« il nous faudrait un nouveau Pétain », Jacques Boncompain admet une sympathie pour celui qui partage peu ou prou ses convictions : Éric Zemmour, « ce malheureux » qui a eu « l’audace de dire une vérité : que Pétain avait sauvé les Juifs d’Afrique du nord. » Pour rappel, le candidat Reconquête lors des élections présidentielles 2022 avait été convoqué par la Cour de cassation pour « contestation de crimes contre l’humanité ».

« Pétain, c’est de l’histoire qui s’éloigne »

Si le président de l’ADMP peine à afficher ses préférences politiques, il n’a pas de mal à partager ses détestations. « Les forces qui ont mis la France à genoux en 1940 sont de retour aujourd’hui, comme le Front populaire », dénonce l’ancien juriste, avant de développer sa vision du monde : « Il y a une France éternelle et une France révolutionnaire. Le mariage pour tous, l’euthanasie, toutes ces transgressions, contre la nature, contre Dieu, c’est la partie mortelle que laisse la France révolutionnaire. »

« Ce débat leur permettrait d’exposer leur point de vue, et qu’une grande partie des Français puisse l’entendre. L’accepter, ce serait leur permettre de légitimer leur combat » Michel Promérat

Quelques théories complotistes plus tard, Jacques Boncompain conclut : « Nous ne souhaitons qu’un débat public autour de la réhabilitation du Maréchal, au même titre que les héros de la guerre. Il y avait plusieurs Foch, il n’y avait qu’un Pétain. C’était un génie militaire. Il mérite de la reconnaissance. »

Une volonté de débattre qu’explique l’historien Michel Promérat. « Ils savent que le procès ne sera jamais révisé et que le cercueil ne sera pas déplacé, analyse-t-il. Ce débat leur permettrait d’exposer leur point de vue, et qu’une grande partie des Français puisse l’entendre. L’accepter, ce serait leur permettre de légitimer leur combat. »

Cette année, pour les 80 ans de la fin de la Seconde guerre mondiale, Jacques Boncompain et l’ADMP souhaitent faire une nouvelle demande pour déplacer la dépouille de Pétain. L’occasion d’entamer une « réconciliation nationale » et « d’enterrer la hache de guerre ». Une fois pour toutes, selon le président. Mais pas pour l’historien. « Pour beaucoup de Français, Pétain, c’est de l’histoire qui s’éloigne, conclut Michel Promérat. Même dans une majorité des mouvements de l’extrême droite d’aujourd’hui, ce n’est plus une priorité. Au contraire, ils s’en éloignent, comme le Rassemblement national. Pétain, c’est un dossier qu’on ne peut pas défendre. Et ils ne sont plus que quelques personnes à le soutenir… »

Raphaël Faurie-Pacaud