Épisode 3 – Pierre Laval, Auvergnat controversé et paradoxal
Par Camille LE GUEN
Étrange destin que celui de Pierre Laval, enfant d’Auvergne revenu dans sa région pour y diriger le gouvernement collaborationniste de Vichy, après une carrière politique en région parisienne. Triste parcours que celui de cet ancien militant d’extrême gauche devenu le laquais du régime nazi et l’acteur principal de la déportation des populations juives de France.
Figure majeure de la collaboration et de la déportation des populations juives en France, Pierre Laval a un puissant ancrage en Auvergne. Il naît le 28 juin 1883 à Châteldon, une petite commune du nord du Puy-de-Dôme, non loin de Vichy, où il grandit avant de s’installer en région parisienne pour y débuter une carrière politique. Une trace de ses origines auvergnates subsiste : le château de Châteldon, qui appartenait à la famille Sénèque avant d’être acquis, dans les années 1930, par Pierre Laval. La forteresse trône toujours sur les hauteurs du village, rappelant le douloureux passé de l’enfant du pays.
Un Châteldonnais fort en thème
Pierre Laval est le digne fils de son père, Gilbert Laval. Aubergiste de Châteldon, celui-ci cumule les lucratifs métiers d’hôtelier, de boucher, de transporteur de poste et de conducteur de diligence. La famille est prospère, et même propriétaire de quelques terres, à une époque où la production agricole revient aux maîtres. La fortune familiale n’est tout de même pas comparable à celle des Sénèque, alors propriétaires du château, ni à celle des Claussat, fameux notables de Châteldon.
Quant à Pierre, troisième enfant d’une famille de quatre, dont trois garçons, certains auteurs le décrivent comment un jeune Auvergnat « autodidacte aux manières frustres ». Il n’est pourtant pas sans éducation. Il bénéficie de l’école obligatoire gratuite et laïque de Jules Ferry, créée l’année précédant sa naissance. Il obtient son certificat d’études à onze ans et poursuit ses études au lycée Banville de Moulins où il est sélectionné pour préparer son baccalauréat au lycée Saint-Louis de Paris. Il empoche son diplôme avec brio, avant de se lancer dans une licence de droit et de s’inscrire au barreau de Paris.
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Un Auvergnat dans la ville
Une fois diplômé du barreau, l’Auvergnat retourne à Châteldon. Il y sympathise avec Jeanne-Eugénie-Elizabeth Claussat, qui n’est autre que la sœur de Joseph Claussat, son ami d’enfance rencontré sur les bancs de l’école. Peu de temps plus tard, la jeune femme change de nom de famille, en se mariant avec Pierre Laval. Ainsi, le jeune avocat devient l’égal de son ancien ami et positionne sa famille au sommet de la hiérarchie sociale châteldonnaise.
Il retourne ensuite s’installer en région parisienne. Me Laval ouvre son cabinet rue du Faubourg-Saint-Martin, au cœur du dixième arrondissement parisien. Il accueille de riches clients dont certains le qualifient ainsi : « Conciliant dans la fermeté et ferme dans la conciliation. » Une formule emplie d’ambiguïté qui décrit le personnage aussi bien qu’elle soulève des questions à son égard. Il reste ancré en région parisienne durant toute sa vie professionnelle et lors de ses débuts en tant qu’élu. Il ne revient en Auvergne qu’en 1940, aux côtés du maréchal Pétain.
De l’extrême gauche à l’extrême droite
Lors de ses balbutiements en politique, Pierre Laval se classe clairement à l’extrême gauche du spectre politique français. Il se rallie politiquement à l’extrême gauche révolutionnaire avant de se présenter aux élections législatives de 1914 sous l’étiquette socialiste. Il devient député pour cinq ans avant d’être battu aux législatives de 1919. Il devient ensuite maire d’Aubervilliers, dans le nord de Paris, en 1923. Il occupera ce poste jusqu’à sa mort. En 1924, il remporte de nouveau l’écharpe de député, mais cette fois sous le label socialiste indépendant.
À partir de 1925, Pierre Laval devient plusieurs fois ministre. Il vogue du ministère des Travaux publics à celui de la Justice avant d’atterrir au ministère du Travail. De janvier 1931 à février 1932, il est président du Conseil. Ensuite, il redevient ministre en tant que ministre du Travail puis prend la tête du ministère des Colonies avant de s’emparer de celui des Affaires étrangères. En 1935, il redevient président du Conseil.

En 1935, face à Hitler, il veut assurer l’alliance de l’Italie et de l’URSS à la France. Staline décrète alors, pour un temps, le ralliement des communistes français à sa politique de défense nationale. Laval tombe en janvier 1936 après avoir mené des politiques monétaires de déflation et d’économies budgétaires qui ont froissé l’opinion publique. Dès 1939, il se positionne en défaveur d’une déclaration de guerre à l’Allemagne et revient au premier plan en 1940, après la signature de l’armistice.
La ville de Vichy est alors choisie pour être le nouveau siège des institutions nationales de la partie de la France qui échappe encore à l’occupation. Malgré la grande implication de l’Auvergnat dans la création de ce nouveau gouvernement, la ville n’est pas choisie pour sa proximité avec Châteldon, où trône son château. Le 10 juillet 1940, dans l’enceinte de l’opéra de Vichy, Philippe L’Assemblée nationale vote l’octroi des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. La IIIe République s’éteint. Laval, un temps ministre d’Etat, devient vice-président du Conseil. Persuadé de la future victoire finale de l’Allemagne en Europe, il provoque la rencontre de Montoire entre Philippe Pétain et Adolf Hitler. Le 24 octobre 1940, le maréchal et le führer se rencontrent. La politique de collaboration naît.

Suite à la conférence de Wannsee (banlieue de Berlin), en janvier 1942, les dirigeants nazis décident que la « solution finale », l’extermination des juifs, déjà à l’œuvre en Europe de l’Est, sera également appliquée à l’Ouest. Des arrestations d’une ampleur inédite se préparent et font l’objet de négociations entre les autorités nazies et le gouvernement antisémite constitué par Pierre Laval en avril 1943. Pierre Laval et René Bousquet, alors secrétaire général à la police, acceptent de livrer à l’occupant allemand des milliers de Juifs étrangers considérés comme indésirables. Leur objectif est d’atteindre les quotas fixés, voire d’aller au-delà. Ils mettent donc leurs administrations au service de la politique antisémite nazie.
Principal persécuteur des Juifs de France
L’année 1942 marque un tragique tournant dans la persécution, la déportation et l’extermination des Juifs en France. Au début du mois de juillet, Pierre Laval annonce avoir obtenu, contrairement aux premières dispositions allemandes, que les enfants, y compris ceux de moins de 16 ans, soient autorisés à « accompagner leurs parents ». Le 13 août, le régime nazi donne son accord pour que les enfants soient répartis dans les convois de déportation. Ils sont alors convoyés à Drancy et, pour une grande majorité, aussitôt déportés et assassinés dans les chambres à gaz d’Auschwitz-Birkenau.
Durant l’été 1942, le gouvernement antisémite installé à Vichy s’attaque également aux Juifs de la zone dite libre. Pour honorer le contrat passé avec le désormais allié allemand, Pierre Laval fait déporter 10 000 Juifs résidant dans la zone libre. Tous les individus déportés à partir du 26 août 1942 sont automatiquement envoyés à Auschwitz-Birkenau, où ils sont exterminés. Du 17 juillet au 30 septembre 1942, 33 000 Juifs sont déportés depuis la France. Cela équivaut à environ 3 000 déportés par semaine, sous l’influence de la politique de Pierre Laval.
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En août 1944, quelques jours avant la Libération de Paris, Pierre Laval est emmené par les Allemands à Sigmaringen, en Allemagne. Depuis son exil, il bâtit sa défense, s’attendant à un imminent procès après la chute inéluctable du Reich. Celui-ci aura lieu du 4 au 9 octobre 1945. L’acte d’accusation et le déroulement des débats d’octobre 1945 font le procès du choix de l’armistice, de la liquidation du régime républicain et de la Collaboration sur un plan très général.
Si les actes qui nous paraissent aujourd’hui les plus condamnables, comme la déportation massive et plus étendue que ce que demandait initialement l’occupant allemand, ont été négligés par ce procès, l’implication de Pierre Laval dans ces horreurs ne fait aujourd’hui plus débat. Les politiques de Laval n’ont pas protégé les Français et encore moins les Juifs français, elles ont laissé place à la monstruosité.
Le procès de Pierre Laval s’est achevé le 9 octobre 1945. Condamné à la peine capitale, l’Auvergnat essaie d’échapper à sa sentence en tentant de se suicider par empoisonnement. Il est exécuté quelques jours plus tard, le 15 octobre 1945.
Camille Le Guen