Épisode 1 – À Isserpent, les raisons d’un vote record pour le RN

Par Vincent LEGUAI

Lors des élections législatives de 2024, le candidat du Rassemblement national (RN), Rémy Queney, a obtenu près de 59 % des voix au second tour dans cette commune de l’Allier historiquement attachée à la droite traditionnelle, incarnée ici par Les Républicains (LR). Reportage dans cette municipalité nouvellement devenue électrice du RN.

Panneau d'entrée d'Isserpent.
Les panneaux de la ville sont retournés. Crédit : Camille Chable

Lundi 11 novembre. Le temps est frais et brumeux. À Isserpent, le panneau d’entrée de la commune est retourné, signalant que les protestations paysannes contre la politique agricole du gouvernement sont passées par là. Le village de 560 habitants est agricole et engagé. La commune fait partie de la montagne bourbonnaise. La densité d’habitation est faible (21.2hab/km²). Les sols de la commune sont utilisés à 80 % pour des activités agricoles. Un terrain de plus en plus propice pour le Rassemblement national (RN).

Un revirement à l’extrême droite

Lors des deux dernières élections, européenne le 9 juin et législatives le 30 juin et 7 juillet, le RN a caracolé en tête des scrutins à Isserpent. Pour la première, la liste de Jordan Bardella a récolté 51 % (105 voix) des votes isserpentois, créant un écart conséquent avec ses concurrents puisque la liste de François Bellamy (Les Républicains) arrive deuxième avec seulement 10 % (22 voix). L’abstention a eu la cote puisque sur 428 inscrits, 220 se sont abstenus.

Un son de cloche semblable résonne quelques semaines plus tard, lors des élections législatives. Le candidat RN, Remy Queney, arrive en tête dans le village dès le premier tour avec 53,79 % (156 voix) largement devant Nicolas Ray, le candidat LR (19,81 %, soit 84 voix). Au second tour, le candidat RN s’est imposé avec 58,84 % des vote, le tout avec une abstention en baisse puisque seulement 136 électeurs se sont abstenus cette fois.

À la mairie, c’est le choc. « On a été très surpris de ces votes, on ne s’attendait pas à autant, affirme Marie-Claude Ducroux, conseillère municipale. Ici, les habitants ont toujours été à droite. Historiquement, le pays de Lapalisse est un bastion des Républicains. » Les années précédentes, le RN ne prédominait pas autant. Lors des législatives de 2022 LR et le RN finissaient ex aequo avec 59 voix. Mais au deuxième tour, les Isserpentois avaient préféré à 69,43 % Nicolas Ray (LR) à la seconde option, Bénédicte Peyrol, candidate d’Ensemble.

Ce vote RN devrait s’installer à Isserpent, selon Marie-Claude Ducroux : « Je suis conseillère municipale, donc je vois à peu près comment ça se passe. Ce matin, il y avait un pot pour l’armistice et ce qui ressortait, c’était soit que les gens ne vont plus voter parce qu’il n’y a rien qui les représente, soit ils vont voter RN. Les gens n’ont pas honte de le dire. » Un point de non-retour semble avoir été franchi dans la commune.

Place centrale d'Isserpent où se trouve l'église.
À Isserpent le vote pour le rassemblement national émerge. Crédit : Camille Chable

Les raisons des habitants

En milieu d’après-midi de ce jour férié, pas un chat dans les rues. Tout le monde est au chaud dans sa maison et une lumière automnale orangée et chaleureuse perce le brouillard. Cependant, certains acceptent d’ouvrir leur porte pour tenter d’expliquer ce nouveau vote RN.

Pour les Isserpentois, le RN était la seule véritable force politique durant ces dernières élections, disent les uns. « En face, il n’y avait rien. LR n’avait pas grand-chose à proposer et les autres forces politiques non plus. » Pour Jean*, Isserpentois depuis plusieurs décennies, le parti politique de Marine Le Pen est « le seul à vraiment se préoccuper des gens comme nous [les habitants des espaces ruraux]. Macron avec ses trucs de start-up nation, capitalisme, finance… Il ne sait même pas qu’on existe. » Un décalage entre le monde politico-parisien et la ruralité que plusieurs habitants de la petite commune d’Allier ressentent. Ces habitants ont l’impression que peu importe le parti au pouvoir, rien ne change, alors « pourquoi pas donner une chance à Marine Le Pen ? Ça ne peut pas être pire que la situation d’aujourd’hui. Il faut du changement », confie une habitante sur la place principale.

« On en a ras-le-bol de payer pour les étrangers. Il y a beaucoup trop de social on a déjà du mal à s’en sortir et en plus on doit payer pour les autres ? Ce n’est pas normal, ce sont toujours ceux qui travaillent le plus qui gagnent le moins qui doivent payer les pots cassés », insiste Jean. Une idée que Marie-Claude Ducroux perçoit sur le terrain. « Les gens en ont marre de payer. Ce sont tous des gens qui travaillent et qui se rendent compte qu’on les plume et que ceux qui ne font rien, qui arrivent comme ça, ils ont tout. Les gens le disent : on en a marre ! Je le vois bien, les valeurs se perdent, les jeunes ne disent plus bonjour ni merci. »

Pour la conseillère municipale, ce vote RN à Isserpent est avant tout un vote de protestation. « Les gens sont fatigués par la politique générale de Macron. À la mairie, on a été soufflé de ces votes. Ce sont nos agriculteurs qui se sont tournés vers le RN. » « Il y a un décalage entre la sphère parisienne et ce qui se passe ici. Ils ne rendent pas compte de ce qui se passe sur le terrain. Il ne faut pas que Macron et les autres partis politiques s’étonnent de ce qui se passe ; du fait que les gens se tournent vers le RN », affirme Marie-Claude Ducroux.

Panneau de sortie d'Isserpent.
Isserpent est un village de 560 habitants qui vote dans la 3ème circonscription. Crédit : Camille Chable

Un village scindé en deux

Les températures froides du jour reflètent peut-être l’ambiance du village. Une fissure semble en effet s’être ouverte entre les anciens habitants, parfois présents depuis plusieurs générations, et ceux qui sont arrivés depuis peu. Le gérant du bar, Isserpentois depuis peu, avoue : « On ne parle pas de politique ici. À vrai dire, on n’a pas beaucoup de clients. Je ne sais pas pourquoi les gens votent RN ici, il n’y a pas d’‘’étranger’’ à part ma femme, qui est Martiniquaise. » Présent depuis deux ans, un autre habitant affirme ne pas vraiment connaître le reste des habitants et encore moins leurs convictions politiques.

Sandrine* évoque un accueil plus que froid de la part des Isserpentois. « On ne se parle pas ici. Ça fait plusieurs décennies que je suis arrivée pourtant, je ne connais personne. Je parle juste aux nouveaux arrivants. Les gens ici n’aiment pas les nouveaux arrivants, alors imaginez les étrangers ». En effet, dans cette commune d’Allier, 60 % des ménages sont installés depuis plus de 20 ans. « Ce n’est peut-être que mon ressenti, mais à Isserpent, c’est chacun pour soi, il n’y a pas de solidarité, les gens sont très médisants. Vous êtes peut-être tombé sur l’une des seules qui ne votent pas RN », poursuit Sandrine*.

En dehors de ce conflit générationnel, il y a aussi deux visions politiques qui s’opposent. « Voter RN par dépit ? Je ne pense pas que ce soit uniquement du dépit. Il doit avoir aussi une raison plus inconsciente. C’est dans l’air du temps d’être à l’extrême quand on voit que les Américains ont élu Trump », commente Sandrine.

Cet enfermement sur soi et le mépris des nouveaux arrivants sont peut-être l’une des raisons de l’émergence de l’extrême droite dans ce village. Rémi*, habitant d’Isserpent depuis peu, pense que « c’est de l’ignorance de dire que c’est la faute des étrangers ». « Je ne pense pas non plus que ce soit un vote de protestation. La vraie protestation serait de s’abstenir. Si tout le monde arrête de voter, ça changera les choses », estime-t-il. Pour Rémi, l’absence de gouvernement pendant plusieurs mois remettrait en cause le fonctionnement du pays.

* Nom d’emprunt, les sources voulant rester anonymes.

Vincent Leguai